Synopsis : Un frère et une soeur, placés chez une nouvelle mère adoptive dans une maison isolée, découvrent un rituel terrifiant qui bouleverse leur réalité et les confronte à des forces obscures.
Ressenti : Le genre de l’horreur semble aujourd’hui surchargé de films porteurs de messages : des récits inventifs qui s’attachent moins à susciter la peur qu’à exprimer des idées psychologiques ou philosophiques. La sortie du long-métrage Talk to Me (La Main) des frères Philippou, deux réalisateurs australiens ayant débuté sur YouTube a été une véritable explosion de jeunesse. Ce récit tordu et édifiant suivait un groupe d’adolescents dont la tentative de séance de spiritisme se termine de façon atroce ; il est devenu un succès dans les festivals et les salles . Fait remarquable, le film a touché un public averti tout en conservant l’ambition audacieuse dont les réalisateurs ont fait preuve pour établir une présence en ligne, avec des courts-métrages influencés par le catch et la culture pop.
Cependant, leur film suivant, Bring Her Back (Substitution), semble s’éloigner délibérément de ces origines. Le sentiment de rébellion juvénile a disparu ; à la place, comme dans de nombreux autres films d’horreur acclamés, ce récit se concentre sur un traumatisme et un deuil reconnaissables mêlés à un aspect surnaturel sinistre. Les Philippous possèdent un véritable talent pour créer des scènes profondément répugnantes qui défieront même les amateurs d’horreur les plus aguerris. C’est ce qui rend leur voyage aux antipodes du genre plutôt inattendu : une tentative de profondeur de la part d’un duo qui excelle habituellement tout en s’amusant.

Néanmoins, le film offre une formidable plateforme à son actrice principale, Sally Hawkins. L’actrice anglaise nommée aux Oscars, collaboratrice privilégiée du réalisateur Mike Leigh et mère de l’ours Paddington n’a jamais joué dans un film d’horreur traditionnel, mais elle s’avère un atout précieux dans ce rôle. Elle incarne Laura, une mère d’accueil excentrique qui accueille deux adolescents, Andy (Billy Barratt) et Piper (Sora Wong), après le décès de leur père. L’air distrait de la nouvelle gardienne cache mal ses intentions cachées et dangereuses ; elle oscille entre une compagne excessivement aimante envers ceux dont elle a la charge et une personne très sensible qui applique les règles.
Les réalisateurs savent exploiter le caractère authentique et chaleureux de Hawkins à l’écran usant de son charme décalé pour entretenir l’incertitude du public quant à la véritable malveillance de son personnage. La maison de Laura semble convenir parfaitement au duo, car elle a eu une fille aveugle décédée ; Piper est malvoyante. Cependant, le nouvel environnement pour la fratrie se gâte rapidement car Laura est étrangement intriguée par les ressemblances de Piper avec sa défunte enfant, affichant une hostilité ouverte envers un Andy farouchement défensif. D’autres événements renforcent l’atmosphère troublante du film : un garçon torse nu et silencieux, Oliver (Jonah Wren Phillips), erre, arborant une curieuse tache de naissance. De plus, plusieurs portes verrouillées ne doivent absolument pas être ouvertes.

Le mérite revient aux Philippous : « Bring Her Back » ne cherche jamais à suggérer que quoi que ce soit d’ordinaire se passe. La maison de Laura est un chaos vibrant, à l’image d’un personnage autrefois visiblement étourdi et attachant, devenu imprévisible. Ses interactions avec Andy, en particulier, fluctuent considérablement ; un soir, elle boit avec lui jusqu’au petit matin, se remémorant avec nostalgie son ancienne vie, tandis qu’à d’autres moments, elle se livre à une attaque psychologique en fouillant dans ses affaires, lui faisant croire qu’il a perdu le contrôle de sa vessie pour le pousser à la porte. Entre les mains d’un autre acteur, la méchanceté imprévisible de Laura apparaîtrait évidente, même l’assistante sociale la moins compétente pourrait la reconnaître. Hawkins, quant à elle, sait exploiter son énergie mièvre à son avantage, principalement par des rires et des murmures. Cela rend les moments de raideur, lorsqu’ils surviennent, encore plus terrifiants.

Ces révélations témoignent également des efforts des réalisateurs pour appréhender ces frasques comme une réflexion psychologiquement pertinente, et non comme une simple brutalité horrifiante. Décrypter la complexité du personnage de Laura m’a captivé ; son inquiétude profonde pour Piper est évidente mais ses intentions envers elle restent floues, notamment avec la présence déconcertante et imprévisible d’Oliver qui persiste en arrière-plan. Laura attribue son comportement étrange au fait qu’il n’était qu’un enfant placé en famille d’accueil traumatisé mais les raisons qui le sous-tendent sont bien plus troublantes. L’examen de l’essence de sa souffrance, ainsi que de celle d’Andy et de Piper, rend le message du film de plus en plus flou ; les mauvais traitements que les enfants peuvent subir de la part des adultes qui en sont responsables sont principalement perçus comme de simples rebondissements.


Bring Her Back présente avec assurance le parcours de Laura, culminant dans une fin profonde et intense qui souligne l’ampleur de sa perte et sa lutte pour y faire face. Hawkins relève le défi, et le reste de la distribution est suffisamment solide pour égaler son énergie. Cependant, de nombreux moments du récit semblent mécaniques ; le film s’enflamme véritablement dans les séquences les plus sombres et les plus macabres. Un moment où Oliver utilise délibérément un ustensile de cuisine est obsédant et inoubliable ; un autre, montrant une cérémonie violente, aux allures de culte, est bien plus dérangeant visuellement et narrativement que les tentatives ultérieures de Laura pour la recréer. Certains cinéastes d’horreur savent allier avec élégance des récits sophistiqués à une intensité viscérale et un désir tentant pour ceux qui souhaitent rester à la mode tout en honorant les origines du genre. Les Philippous sont suffisamment performants, mais idéalement, dans leur prochain film, ils redécouvrent leur pouvoir accru : créer un public pour une expérience exaltante.
Substitution – Bring Her Back est un film marquant par son ambiance et ses performances, mais limité par ses lourdeurs narratives et son manque de renouvellement thématique

