La franchise des morts-vivants de George A. Romero, inaugurée avec Night of the Living Dead en 1968, a redéfini à elle seule le zombie moderne et le film d’horreur politique. Au fil de six longs-métrages, Romero a construit une chronique pessimiste de l’Amérique, où les morts qui marchent sont moins effrayants que les dérives de la société des vivants.
Contenu de l'article
- 1 La Nuit des morts-vivants (1968)
- 2 Zombie : Le Crépuscule des morts-vivants (1978)
- 3 Le Jour des morts-vivants (1985)
- 4 Le Territoire des morts (2005)
- 5 Diary of the Dead : Chroniques des morts-vivants (2007)
- 6 Le Vestige des morts-vivants (2009)
- 7 Twilight of the Dead (projet posthume en cours de production (20.12.2025)
- 8 Thèmes et vision du zombie
- 9 Style, mise en scène et effets
- 10 Héritage et prolongements de la franchise
La Nuit des morts-vivants (1968)

Contexte : Film indépendant tourné en noir et blanc, qui pose les bases du zombie moderne : cadavres anthropophages, morsure contagieuse, siège dans un lieu clos.
Intrigue : Ben, Barbra et un petit groupe de survivants se retranchent dans une ferme de Pennsylvanie assiégée par les « ghouls », tandis que la télévision diffuse des informations contradictoires sur la crise.

Thèmes : Racisme, paranoïa, violence institutionnelle, fin du rêve américain ; le destin de Ben renvoie directement aux lynchages et à l’Amérique ségrégationniste.
Importance : Considéré comme l’acte de naissance du zombie moderne au cinéma, le film est entré au National Film Registry pour son importance culturelle.
Zombie : Le Crépuscule des morts-vivants (1978)

Contexte : L’épidémie s’est étendue, les institutions se désagrègent, la panique gagne les grandes villes.
Intrigue : Deux membres du SWAT, un pilote d’hélicoptère et sa compagne fuient la ville et s’installent dans un centre commercial, qu’ils « sécurisent » avant d’être confrontés à une horde de zombies et à un gang de bikers.

Thèmes : Consumerisme et critique du capitalisme ; les zombies errent dans le mall comme des consommateurs conditionnés, tandis que les survivants reproduisent les mêmes réflexes de possession et de classe.
Importance : Culte pour sa violence graphique, l’inventivité des effets de Tom Savini et son mélange d’horreur et de satire sociale.
Le Jour des morts-vivants (1985)

Contexte : Le monde est désormais submergé, les humains ne sont plus qu’une minorité retranchée ; la saga glisse vers un pessimisme extrême.
Intrigue : Dans un bunker militaire en Floride, une poignée de scientifiques et de soldats se déchirent autour des expériences du Dr Logan, qui tente de « domestiquer » les zombies, en particulier Bub, mort-vivant capable d’apprendre.

Thèmes : Militarisme, dérive scientifique, crise de l’autorité ; la fracture entre armée et chercheurs fait écho aux tensions politiques de l’époque et à la peur du complexe militaro‑industriel.
Importance : Longtemps sous-estimé, il est aujourd’hui apprécié pour son atmosphère claustrophobe, la performance de Bub et des maquillages parmi les plus impressionnants de la saga.
Le Territoire des morts (2005)

Contexte : Des années ont passé, l’humanité s’est réorganisée en enclaves fortifiées entourées d’océans de morts-vivants.
Intrigue : À Pittsburgh, une ville protégée par des murs et un système de défense, un magnat, Paul Kaufman, dirige une société de classes où les riches vivent dans une tour de luxe tandis que les pauvres survivent dans les rues ; pendant ce temps, un zombie surnommé Big Daddy développe une intelligence rudimentaire et mène une révolte.

Thèmes : Lutte des classes, néo‑féodalité, peur de l’insurrection ; les zombies deviennent une force quasi révolutionnaire face à un ordre social corrompu.
Importance : Premier film de la saga produit par un grand studio, il introduit des zombies plus conscients, capables d’utiliser des outils et de s’organiser.
Diary of the Dead : Chroniques des morts-vivants (2007)

Contexte : Retour au « jour 1 » de l’apocalypse, comme si l’on reprenait l’histoire dès le début mais à l’ère numérique.
Intrigue : Un groupe d’étudiants en cinéma traverse les États‑Unis au moment de l’effondrement ; obsédé par l’idée de tout filmer, Jason documente la catastrophe en mode found footage, au détriment même de sa survie.

Thèmes : Médias, manipulation de l’information, narcissisme de l’image ; Romero interroge la manière dont internet, les blogs et les vidéos virales façonnent la perception du réel en temps de crise.
Importance : Entrée méta et expérimentale, qui transpose le discours politique de Romero dans l’ère YouTube et des réseaux sociaux.
Le Vestige des morts-vivants (2009)

Contexte : Suite directe de Diary, mais centrée sur un autre groupe, dans un monde déjà durablement transformé par les morts-vivants.
Intrigue : Le sergent « Nicotine » Crockett et ses soldats déserteurs se retrouvent sur une île isolée dirigée par deux clans rivaux : l’un veut exterminer les zombies, l’autre les « conserver », en espérant trouver une solution ou laisser les proches défunts errer.

Thèmes : Guerre civile, cycles de haine, impossibilité du compromis ; la querelle de familles rappelle les conflits politiques insolubles, où l’idéologie prime sur la survie.
Importance : Film le plus controversé de la série, souvent jugé mineur mais intéressant pour son approche quasi western et sa réflexion sur ce qu’on fait des morts.
Twilight of the Dead (projet posthume en cours de production (20.12.2025)
Origine : Dans les années 2010, Romero commence à écrire un épilogue censé conclure définitivement sa vision, montrant une humanité presque éteinte et le sort des zombies de Land of the Dead.
Développement : Après sa mort en 2017, le scénario est finalisé par Paolo Zelati, Joe Knetter et Robert L. Lucas, sous la supervision de Suzanne Romero ; Brad Anderson est annoncé à la réalisation, avec notamment Milla Jovovich au casting.
Intention : Offrir une fin où les zombies eux-mêmes commencent à disparaître, laissant une mince chance de reconstruction, dans l’esprit du traitement imaginé par Romero.
Thèmes et vision du zombie

La grande constante de la saga est l’usage du mort-vivant comme outil de critique sociale : racisme, consumérisme, militarisme, inégalités économiques, médiatisation du chaos et radicalisation idéologique structurent chaque épisode. Le zombie romérien est moins un monstre exotique qu’un miroir de l’Amérique, souvent décrit comme un « nous » décomposé, d’où la fameuse idée que « ils sont nous » dans la lecture critique de ses films.
Romero fait aussi évoluer ses créatures : d’abord masse anonyme de cadavres affamés, elles deviennent peu à peu capables de rudiments de mémoire, d’apprentissage et même de leadership, à travers Bub dans Day ou Big Daddy dans Land. Cette progression inverse celle de l’humanité, qui perd son humanité au fur et à mesure que les morts gagnent une forme de conscience, jusqu’à remettre en question qui est réellement le monstre.
Style, mise en scène et effets

Avec Night of the Living Dead, tourné en indépendant en 16 mm noir et blanc, Romero prouve qu’un budget minuscule peut générer une atmosphère suffocante grâce à un montage sec, un décor unique et une violence graphique choquante pour l’époque. Les films suivants, surtout Dawn et Day, s’appuient sur les maquillages et effets spéciaux extrêmement inventifs de Tom Savini, qui contribuent à ancrer la saga dans une imagerie gore viscérale devenue référence.

À partir de Land of the Dead, le cinéaste jongle avec des budgets plus conséquents et des effets numériques, mais conserve un goût pour les décors concrets, les cadavres en putréfaction et les attaques frontales filmées en plans lisibles. Diary of the Dead expérimente pour sa part avec l’esthétique pseudo-documentaire, caméra embarquée et écrans multiples, pour coller à une époque dominée par les images amateurs et les réseaux de diffusion virale.
Héritage et prolongements de la franchise

Officiellement, la « Dead series » de Romero se limite à ces six films, mais l’univers a généré remakes, suites alternatives, spin-offs, romans et projets posthumes comme Twilight of the Dead, développé à partir d’idées laissées par le cinéaste. La séparation entre Romero et son co-scénariste John A. Russo a aussi donné naissance à une autre branche, celle de The Return of the Living Dead, qui capitalise sur la notoriété du titre tout en prenant un virage plus punk et horrifique-comique.
Sur le plan culturel, la franchise romérienne a posé la grammaire du zombie moderne, influençant aussi bien les cinéastes d’horreur indépendants que des auteurs comme Edgar Wright, Zack Snyder ou des séries télévisées comme The Walking Dead. Pour les amateurs de cinéma de genre, ces films constituent aujourd’hui non seulement une arche fondatrice du film de morts-vivants, mais aussi une fresque critique de l’histoire récente des États-Unis, qui continue de nourrir analyses, hommages et relectures.

