Synopsis : Deux jeunes hommes obsédés par la conspiration kidnappent la PDG d’une grande entreprise, convaincus qu’elle est un extraterrestre qui a l’intention de détruire la planète Terre.

Ressenti : Y a‑t‑il vraiment un duo réalisateur‑acteur aussi créativement prolifique que celui formé par Yorgos Lanthimos et Emma Stone ? Depuis une dizaine d’années, le cinéaste grec guide son actrice fétiche à travers des univers aussi étonnants que variés : d’une satire royale tumultueuse ( The Favourite) à une fable féministe fantasque ( Poor Things), en passant par un triptyque d’un noir absolu ( Kinds of Kindness) et même une courte œuvre d’opéra expérimental de 16 minutes ( Bleat, 2022).Et voici que ces deux esprits excentriques et complices reviennent encore avec Bugonia, un film à la fois captivant et teinté d’un humour misanthrope.
Emma Stone incarne ici Michelle Fuller, la PDG charismatique et autoritaire d’Auxolith Biosciences , Féroce comme une panthère et semblant avoir tiré les pires leçons possibles des chansons de Chappell Roan, elle représente la quintessence du capitalisme opportuniste : une dirigeante qui prône la diversité tout en incitant subtilement ses employés à faire des heures supplémentaires « si besoin ».

Mais sa journée va vite tourner au cauchemar. Teddy (interprété par Jesse Plemons), un apiculteur solitaire et un peu dérangé, et son frère Don (Aidan Delbis) deux complotistes passant trop de temps en ligne, élaborent un plan absurde : kidnapper Michelle, lui raser la tête (Stone se fait raser les cheveux en direct dans le film) et l’enfermer dans leur cave. Leur accusation ? Elle serait une extraterrestre venue de la planète Andromeda , envoyée pour anéantir l’humanité et décimer les abeilles.

Yorgos Lanthimos ne recule pas devant la satire politique : Teddy porte l’aura malsaine d’un « incel », s’étant lui-même (ainsi que son frère) chimiquement castré et vomissant sa haine des élites. Pourtant, le scénario évite d’en faire une simple caricature, suggérant plutôt qu’il agit sous le poids d’un profond chagrin transformé en rancune. La photographie de Robbie Ryan, avec ses objectifs grand‑angle dérangeants, oppose la saleté poisseuse de la maison de Teddy à la froide perfection du monde d’entreprise de Michelle : les deux faces d’une même médaille corrodée.

Inspiré du délirant film coréen de 2003 Save The Green Planet! , le long métrage se déroule comme une version encore plus folle et exacerbée de Misery sauf que, cette fois, le personnage à la James Caan serait accusé d’avoir aspergé les abeilles de pesticides néonicotinoïdes. Sur la musique tantôt majestueuse, tantôt dissonante de Jerskin Fendrix, s’engage un duel rhétorique captivant, où le pouvoir change constamment de camp, tandis que Teddy et le spectateur avec lui, s’interrogent sur la véritable nature de Michelle : est‑elle vraiment humaine ?
Bien qu’il fonctionne à merveille comme un thriller tendu et sombrement drôle, le film regorge aussi d’idées plus vastes : l’effondrement de la colonie d’abeilles de Teddy symbolise le déclin imminent de l’humanité. Ce qui commence comme l’œuvre la plus accessible de Lanthimos dérape ensuite dans une conclusion chaotique, provocatrice et cynique. Moins dérangeant que Kinds Of Kindness et moins excentrique que Poor Things, ce film confirme toutefois l’excellente synergie entre le réalisateur et son actrice fétiche. Puisse cette collaboration se poursuivre longtemps.

Bugonia reste fortement recommandé pour les amateurs de Lanthimos, de satire noire et de cinéma de genre tordu, mais à déconseiller à celles et ceux qui sont sensibles à la violence psychologique et physique prolongée.







